Quelques éléments de contexte :
Naples, 3ème ville d’Italie après Milan et Rome, a souffert ces dernières années des politiques de forte austérité et présente des indicateurs socio-économiques qui en témoignent. Historiquement, il y règne une forte remise en question de la propriété privée et il existe des liens importants entre l’administration et des mouvements sociaux.
En 2007, la Commission Rodotà a mené un travail juridique autour du Code civil afin d’y reconnaître le statut de bien commun, en cohérence avec la fonction sociale de la propriété, prévue dans la Constitution italienne. Celle-ci les définit en tant que bien essentiel aux droits fondamentaux, qui doivent être géré d’une façon ouverte et accessible, de manière à préserver le bien pour les générations futures… Après 3 ans de négociation, l’« Ex Asilo Filangieri », ancien couvent abandonné et occupé par un groupe d’acteurs artistiques, est reconnu en 2012 par le Conseil municipal de Naples comme un bien commun. Il s’agit donc d’un lieu auto-géré par une communauté ouverte, lieu d’expérimentation d’une démocratie participative dans le domaine de la culture.
Ce parcours se posait un peu en dialectique – et en partie en conflit – avec le « Laboratoire de Naples pour une Constituante des biens communs », créé par la municipalité, pour cartographier les biens de la commune abandonnés et inutilisés, en collaboration entre l’administration publique et les associations de citoyens. Ce laboratoire organise des concertations et conseils thématiques pour développer « l’uso civico » modalité juridique consistant à rendre ces biens publics et privés abandonnés aux citoyens désireux d’y développer des projets collectifs d’utilité sociale économiquement viables.
Finalement, en 2015, la municipalité reconnaît l’auto-gouvernement de la communauté de l’Asilo, en acceptant la Declaration d’usage civique écrite par la communauté elle-même et définissant les règles d’usage.
En 2016, grâce à ce mécanisme d’”uso civico”, la ville de Naples a attribué le statut de biens communs à 7 autres lieux emblématiques. Ces lieux constituaient des propriétés publiques et ont fait l’objet d’occupations prolongées par des groupes issus des communautés après avoir été laissés à l’abandon ; les communautés qui occupaient illégalement ces lieux en sont désormais reconnues comme gestionnaires.
Cette période de confinement a été l’occasion pour nous d’échanger avec avec Maria Francesca De Tullio, juriste, autour de l’Asilo à Naples (18/03/2020). Voici un compte rendu de notre échange :
Maria Francesca De Tullio : L’Asilo est avant tout un centre culturel et veut renouveler la manière dont on produit des oeuvres. L’Uso Civico est un peu différent de ce que l’on peut voir à Bologne. Ici, on parle plutôt d’aménagement et de gestion directe. La communauté a beaucoup plus de pouvoir de gestion.
L’Asilo est né d’une occupation des travailleurs du spectacle protestant contre les politiques publiques dominantes de concentration des financements sur les gros événements et grosses directions artistiques. Avant l’occupation, il s’agissait d’un immeuble où avaient lieu de gros événements. Il était géré par concession et a été occupé de manière symbolique. Cela devait durer 2-3 jours mais de nombreux habitants, chercheurs, militants écologistes et féministes ont rejoint le mouvement. Cela a eu lieu peu après le référendum sur l’eau en commun, que Naples a d’ailleurs été la première ville à appliquer. Ils ont décidé d’utiliser ce mouvement pour renouveler les institutions et dénoncer la tendance à vendre ce qui était public, sous couvert de la politique d’austérité. On a finalement imaginé une manière de gérer ces biens comme des biens communs, ouverts à tout le monde. Ils ont commencé par tenir des Assemblées pour voir comment gérer ce lieu de façon ouverte, inclusive, antifasciste, antisexiste.
Une déclaration d’usage civique a donc été rédigée. C’est un peu un héritage des “biens communaux”, à la différence que dans le modèle traditionnel, il n’y avait pas d’assurance que le bien soit ouvert. Il a donc été renouvelé pour s’assurer que le bien soit géré par la communauté et que l’aménagement soit imaginé comme un aménagement ouvert.
S’est alors ouverte une longue négociation de 3 ans avec différentes phases d’amitié/conflit avec l’administration. L’administration a reçu ces règles “d’usage civique”, accompagnées par un dossier mettant en avant les activités et personnes étant passées par l’Asilo. L’administration a finalement décidé de maintenir et soutenir le projet en payant l’eau, l’électricité et les travaux extraordinaires. Ces modalités ont ensuite été utilisées par 7 autres lieux napolitains à thématiques différentes.
Y a-t-il eu une aide méthodologique de la part des pionniers de l’Asilo pour aider ces 7 autres lieux à monter des dossiers ?
Des orbitants, juristes, philosophes du droit, etc. ont aidé l’émergence des autres lieux mais il n’y avait pas vraiment d’experts. Ce sont vraiment les communautés qui mettent en place les modalités de gestion. Une autre question se pose, relative à la représentation de la valeur civique des usages.
Le maire de Naples est à son 2e mandat. Avant lui, on a eu cette expérience municipaliste avec Massa Critica. Ce mouvement a fait des assemblées publiques avec les habitants. Il y avait déjà un réseau politique pour discuter des thèmes de la ville et en dehors. Dans ce réseau, ils ont développé les outils juridiques mais chaque espace a ses règles, ses façons d’être géré. Dans d’autres villes, d’autres espaces voudraient aussi s’inscrire dans cet uso civico.
Qu’est-ce qui a fait consensus entre la ville et l’Asilo et en quoi ça a impacté les règles de l’Asilo ? (pourquoi est-ce après avoir lu les règles qu’il sont décidé de soutenir ?)
Ce sont deux niveaux différents mais pas isolés. Tous n’étaient pas d’accord pour demander la reconnaissance à l’administration. Finalement c’était le fruit de la discussion à l’intérieur de l’assemblée de la communauté. Tous étaient néanmoins d’accord pour que ne s’appliquent pas des modalités classiques de gestion d’un immeuble. La ville a reconnu une communauté nouvelle, rattachée à des principes constitutionnels, comme le principe d’égalité, et le principe spécifiquement italien de subsidiarité horizontale.
L’appel à assemblée est public, l’ordre du jour et le rapport sont aussi publics. Avant, il y avait une assemblée plus restreinte et finalement, ils ont décidé de remettre toutes les décisions aux assemblées publiques. L’administration a accepté de donner ce bien en gestion à la communauté car elle ne voulait pas le vendre, elle souhaitait le mettre à l’usage de la communauté mais pensait utiliser des outils classiques comme la concession. Il a fallu faire des propositions, et finalement inventer un nouvel outil.
Toutes les décisions sont prises par consensus donc tout le monde n’était pas toujours d’accord mais ça permet d’être très uni. On cherche à faire en sorte de se comprendre et de voir comment l’assemblée peut prendre de meilleures décisions. 4h d’assemblée sont tenues par semaine avec des tables de travail pour opérationnaliser les différentes propositions.
Pourquoi on ne pourrait pas imaginer un lieu comme l’asilo avec les pactes de Bologne ?
Avec les pactes, la gestion est partagé entre la ville et la communauté, et c’est la ville qui contrôle ce qui a été produit et la valeur qui a été faite. Normalement, la ville ne propose pas de soutenir économiquement les espaces. En usage civique, on a une reconnaissance de ce que la communauté décide. C’est une reconnaissance du pouvoir normatif de la communauté et de ce qu’elle peut faire et changer. La condition est que la communauté soit complètement ouverte alors qu’avec les pactes, on peut faire un usage exclusif. Aussi, l’uso civico peut ne pas avoir de limite temporelle.
A Bologne, la ville décide à donner un lieu à des communautés mais parfois au détriment d’autres initiatives/ mouvements sociaux, qui ont été expulsés de leur espaces dans une volonté d’y installer des activités économiques faisant du profit. A Naples, c’est la communauté qui a choisi elle-même les espaces. Néanmoins, il existe quand même des modèles hybrides.
Comment vous avez pensé les choses en matière de responsabilité ?
La responsabilité est celle de la ville pour les grands travaux mais pour les activités quotidiennes, ce n’est ni la ville ni lieu ; il y a un système d’auto-responsabilité. Les personnes qui entrent signent une déclaration de co-responsabilité en matière de dommages au lieu, aux personnes tierces à soi-même. C’est un peu comme dans l’espace public.
Par ailleurs, en matière d’ouverture et d’inclusion, il y a une recherche de formes de communication pour s’adresser à ceux qui ne viendraient pas naturellement dans le lieu, malgré l’ouverture de principe.
Et s’il y a le feu et que tout flambe ?
Celles-ci sont les règles, mais on n’a pas de cas d’application de ces règles-là dans des cas d’une telle gravité.
Plus généralement, on a dans l’idée d’organiser un groupe international de juristes et activistes qui réfléchisse autour des communs.
Pour aller plus loin :