Un projet pour explorer comment les communs transforment l’action publique en Europe
A Londres, un « new municipalism » pour lutter contre des inégalités

Se revendiquant d’un new municipalism inspirés de Barcelone,  le borough d’Islington bordant le quartier de la City, poursuit une politique de lutte contre les inégalités sur fond d’économie inclusive. Pour lutter contre les phénomènes de poches de pauvreté, de gentrification et de transformation du tissu commercial, elle mise sur une stratégie de remunicipalisation active, de retour en régie des services publics et de community wealth building. 

Ce municipalisme anglo-saxon au cœur de la capitale de la finance a de quoi susciter la curiosité. A l’occasion d’un séminaire organisé lors de notre mobilité en Angleterre, nous avons rencontré Asima Shaikh, adjointe à l’économie inclusive et au travail à Islington. Pour en savoir plus, voici une synthèse de nos échanges.

 
Retour en régie en gratuité des services publics

La ville d’Islington est la municipalité anglaise qui a connu le mouvement le plus radical de retour en régie des services publics. Entre 2011 et 2019, la ville a rapatrié pour 380 millions de livres sterling de services, y compris la gestion et la réparation des logements, la collecte des ordures, le nettoyage des rues, l’entretien des terrains, la gestion de l’éducation, les services de conciergerie, le nettoyage et l’hébergement temporaire.
Cette politique s’est appuyée sur la première fairness commission britannique, instaurée en 2010.  Les fairness commission associent des experts, des organisations et des habitants dans le but de recueillir des preuves, des données et des informations sur les effets négatifs des inégalités et de la pauvreté dans les villes et de formuler des recommandations pour réduire les inégalités et la pauvreté qui peuvent être mises en œuvre par des partenaires clés, généralement les autorités locales, les secteurs privé et public partenaires et parfois le gouvernement national pour éliminer les structures qui créent et recréent les inégalités et la pauvreté.
Cette première salve de retour en régie s’est accompagné de résultats tangibles : des économies sur le coût global, et des services de meilleur qualité. Elle a permis par ailleurs de financer des mesures fortes : la gratuité des cantines pour enfants, l’instauration du London Living wage pour les agents de la ville.

« to go further and faster in making a difference for local people, we need a government that recognises the transformational role proactive and progressive councils can have in helping to make our society a fairer place for all ».

 

Lutter contre la gentrification par l’infléchissement du marché foncier

Ensuite, la ville d’Islington a pris un ensemble de mesures progressistes et municipalistes pour lutter contre la gentrification, identifiée comme un stimulateur des inégalités sur son territoire.
Espace de travail abordable : Islington Affordable Workspace StrategyEn tant qu’autorité de planification, la ville a développée une stratégie de préemption et de remise à disposition à loyer très modéré (allant jusqu’à la gratuité) d’espaces commerciaux. La mise à disposition est conditionnée par un contrat social entre la ville, et les gestionnaires pour la plupart issus des secteurs des coopératives, des entreprises sociales et des organisations caritatives. Ceux-ci doivent fournir et prouver qu’ils fournissent un avantage à long terme pour la population et les entreprises locales. Exemple avec outlandish, une coopérative qui travail sur la tech : le contrat entre eux et la ville stipulait qu’ils devaient mettre en place des action pour féminiser le secteur.
Cela s’accompagne d’une politique radicale en faveur du développement des logements abordables articulée autour de la Section 106  du document de planification d’urbanisme, instaurant une logique de 50% de logements abordables dans chaque nouvelle construction. Cependant, ce positionnement est particulièrement difficile à concrétiser compte tenu du fait que la ville doit s’appuyer exclusivement sur les promoteurs privés pour atteindre cet objectif, en témoigne le combat judiciaire mené par la ville contre le promoteur Parkhrst Road en 2014. Celui-ci avait porté plainte contre Islington, qui s’était opposé à un projet immobilier ne comportant que 10% de logements sociaux, arguant que le prix d’achat du terrain ne lui permettait pas de construire plus de logements abordables sauf à ce que l’opération ne soit plus rentable. La ville a finalement gagné son procès, le jugement annonçant que la rentabilité n’est pas un critère valable pour s’extraire des objectifs politiques.

Cette décision a conforté Islington dans son rapport de force aux promoteurs immobiliers, et a eu une répercussion réelle sur la dynamique générale du marché immobilier, infléchissant la montée des prix du foncier.

 

Community wealth building & social care

En 2018, la ville a ensuite souhaité mettre en place une stratégie de community wealth building. « Après l’expérience du procès, on a intégré l’idée que l’acteur public était un acteur stratégique, producteur de changement, en faisant des choix économiques forts. ». Le community wealth building, ça n’est pas juste une activité de développement économique comme pourrait le faire une agence économique, c’est une réorientation stratégique, qui a obligé Islington à revoir un ensemble de politiques publiques comme levier stratégique à l’enjeu de réduction des inégalités, notamment l’achat public, comme levier d’investissement dans des acteurs responsables, et le développement économique comme politique d’investissement dans des secteurs d’activité stratégiques (la santé) et de développement des maillons manquants de la chaîne de valeur.

Sur ce denier point, la ville s’est inspirée de l’exemple de Barcelone sur le secteur social. La ville avait mené une action d’identification des lieux dans le but de  mailler le territoire par des micro nœuds de soin au niveau des quartiers.

 

Quels changements pour l’administration et les élus ?

Le Council a commencé cet aventure par deux années difficiles, consacrées à l’élaboration d’un plan de développement économique jamais appliqué. La ville a ensuite été accompagnée par le CLES et la New Economics Foundation, et a entrepris une évaluation de ses pratiques. A partir de là, elle a pu mieux identifier de nombreux enjeux liés au management et a pu identifié des besoins en matière de RH (recrutement, formation).
Ce travail a permis le recrutement d’un «head of inclusive economy » (5/6 à Islington, 1/6 au CLES). Parmi les enseignements de ce travail, la ville a changé ses modes de recrutement : sur la base de la culture davantage que sur celui des compétences (en matière de développement économique par exemple). Lors du recrutement, le futur agent s’engage sur un « community based engagement», ce qui permet d’expliciter l’engagement de l’agent au service du développement de la communauté, des business locaux et des habitants.
Du côté des élus, cette approche ne rencontre pas d’opposition, du fait qu’Islington est une majorité Labour avec un réel consensus autour de cette stratégie. La posture de l’élu est peut être un point aveugle de la démarche, dans la mesure où la ville n’a pas systématisé le principe de « communty based engagement » aux élus.

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