En janvier 2020, nous organisions notre deuxième journée collective avec les participants au programme Enacting the Commons, à Paris cette fois-ci. Ce fut l’occasion de revenir sur nos derniers voyages d’étude (Amsterdam et Athènes) autour d’un plateau-radio afin que les participants partagent le fruit de leurs découvertes, expériences et apprentissages.
Pour compléter cet interview, retrouvez ici le carnet de bord de notre voyage à Athènes. Vous y trouverez une présentation de chaque personne rencontrée, une introduction au contexte grec, si particulier! et nos étonnements à chaud.
Pour la Grèce, Solène, d’Esopa et Stéphane Vincent, la 27e Région se sont prêtés au jeu, interviewés par Magali Marlin, de la Métropole de Nantes et rejoints au fil des échanges par les participants à la journée.
Qu’êtes-vous allés chercher dans ce voyage ? On peut pressentir un contexte assez particulier avec la crise et un acteur public plutôt absent.
Solène : La curiosité de faire un voyage sur les communs dans un contexte humanitaire et économique et de voir ce que cela déclenche du côté des citoyens, qui ne se définissent d’ailleurs pas comme « commoners ».
Stéphane : On n’a effectivement pas été déçus de voir un pays dans lequel l’Etat a disparu et où tout ce qui représente le pouvoir est vu avec méfiance. C’est dans ce contexte que les communs s’inscrivent. On a aussi pu voir ce que cela donne à Athènes.
Athènes est typique des métropoles en crise sociale, subissant la pression des investisseurs étrangers, d’Airbnb… La ville sortait d’une majorité centre/gauche qui a porté ces questions. La mairie est maintenant à droite avec une politique de fermeture, illustrée par la récente évacuation d’Exarchia.
On y a vu des projets institutionnels mais aussi plein de micro-projets familiaux, de quartiers, dont un certain nombre d’entre eux constitués en réseau à l’échelle de la ville ou du pays.
Cela nous a amené à revoir les a priori sur les liens entre communs et acteur public. On note là bas une grosse méfiance vis à vis de l’Etat et toutes les formes de financement. De nombreuses questions se heurtent à cette défiance vis à vis de l’Etat.
Vous dites que la relation acteur public / commun est une non-question à Athènes, quid de la place des initiatives citoyennes dans les territoires ?
Stéphane: Le projet phare en la matière est Synathina, monté par une documentariste, qui vient d’une proposition de travailler sur la réconciliation des habitants avec l’institution. Elle a suggéré à la mairie de proposer une plateforme d’échange et de valorisation des innovations sociales à Athènes. Elle a convaincu le maire de soutenir la candidature à un appel à projets de la fondation Bloomberg (ont mis 1 million d’euros dans la plateforme).
Solène : on a passé 3 jours à essayer de comprendre comment se positionnait ce projet (référencement de 500 initiatives solidaires locales, censées être facilitées par la Ville). Beaucoup d’initiatives autogérées ne connaissaient pas cette plateforme ou étaient défiantes à son égard. Le projet phare est Kipseli Market. Il existe une certaine complexité dans cette défiance : certains lui reprochent d’avoir capté des fonds et certains disent que grâce à ce projet phare, cela a permis à des fondations de se focaliser sur Athènes. Beaucoup d’acteurs sont dans une forme d’ambivalence qui bénéficie indirectement aux acteurs contre le projet.
Stéphane : ce projet s’est construit au sein de la collectivité mais sans financement de la Ville et avec des équipes en CDD recrutées à l’extérieur. Ils n’ont pas réussi à connecter les projets avec les agents de la Ville.
500 initiatives ont refusé d’être référencées sur la plateforme. On ne parle pas de communs, mais de participation. C’est une belle vitrine, mais très descendant, même si la Ville essaie d’identifier des champs non couverts par l’innovation sociale.
Solène : Certains projets ont réussi à bénéficier des ressources en commun grâce à ce projet. Mais le public cible n’est pas le public prioritaire de l’Etat. La question est de savoir comment toutes ces initiatives peuvent perdurer dans le temps. Il n’y a pas de projection, on est dans l’urgence du faire. La question de l’institutionnalisation ne se pose pas.
Stéphane : De nombreux projets n’ont pas de statut. Certaines structures sont gérées sans budget, sans CA, sans association. Il y a un refus de s’institutionnaliser et cela n’a pas l’air d’avoir nuit à leur existence.
Solène : avec la droite et l’extrême-droite au pouvoir depuis quelques mois, ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir, par exemple si on va leur laisser leurs locaux
Si ce n’est pas du tout institutionnalisé, qui a accès à ce que Kipseli Market met en commun et comment est-ce géré ?
Stéphane : Ils ont des réunions mensuelles. C’est un fonctionnement très pragmatique/primitif qui s’organise de façon assez informelle.
Les ressources appartiennent-elles à la ville ?
Solène : Surtout les locaux. Par exemple, ceux de la clinique et de l’école appartiennent à la ville, mais tous les squats d’accueil de migrant ont été fermés, il n’y a plus de lieux.
Stéphane : dans ce contexte, la question des communs paraît secondaire. On a quand même rencontré un chercheur qui nous a expliqué comment les communs étaient entrés dans le programme de Syriza (ex: brevet « open source », encouragement aux initiatives sociales …), mais ont été pris en étau par la Troïka et n’ont pas pu mener leur projet à terme.
Une autre association (une agence de conseil qui vit sur des financements internationaux) cartographie les communs mais n’arrive pas à vivre de cela à Athènes. Les acteurs des communs sont très clairsemés.
Un avocat a réfléchi à des questions juridiques très concrètes comme l’occupation d’espace public mais il était très seul.
Que va devenir, selon vous, la plateforme Synathina ?
Stéphane : On est arrivé au moment où la nouvelle majorité regarde ce que fait Synathina. Ils sont plutôt optimistes. Synathina a mis des fonds pour reconstruire quelque chose de propre au Kipseli Market, un peu sans les habitants, mais les prix des baux sont bien supérieurs au reste du marché. Cela génère beaucoup d’énergie sur le lieu mais vide le quartier. Les acteurs locaux ne sont pas associés dans la gouvernance. Synathina développe un nouveau projet : Curing the Limbo qui vise à ré-insérer les migrants (un peu sur le modèle de Place). Ils se réorientent mais toujours de façon déconnectée de la mairie.
Quelque chose qui vous a particulièrement marqué ?
Solène : Un sentiment assez angoissant avec une forte présence militaire, et on sent la pression d’AirBnb. Qu’est-ce qu’il en sera dans un an ?
Stéphane: On avait l’impression d’être dans un scenario extrême, pas propice à l’apparition des communs. On a un développement vers des tentatives pour sauver l’essentiel mais pas de grand mouvement autour des communs.
Solène : Sur les fondations : beaucoup de fonds sont parachutés dans certains quartiers, par exemple dans les musées. Cela désengageait les citoyens qui attendaient les prochains fonds.
Christine : Cela pose la question des communs dans différentes cultures. A l’opposé d’Amsterdam, on est dans un contexte très marqué par l’anarchie. On arrivait avec notre logiciel français, avec des questions d’agents français qui venaient se heurter à un autre rapport au monde. On a parlé de la question des mots avec le chercheur, qui a porté notre attention sur le fait qu’on devrait parler plus de communs que de biens communs pour la gauche.
Est-ce que le fait que le concept de communs soit plus ancré dans un contexte philosophique qu’économique, cela encourage cela ou est-ce décorrélé ?
Stéphane: On a l’impression qu’ils étaient hors d’état de construire des projets alternatifs coopératifs.
Christine : Une des raison c’est aussi cet ancrage très anarchiste et ultra-local (c’est la famille et le quartier qui s’organisent). C’est en même temps d’une efficacité bluffante.
Stéphane : La structuration n’est pas un objectif, réaction à des besoins hyper basiques (ex école = réaction à l’explosion des coût des cours du soir privés, qui sont nécessaires pour avoir ses examens)
L’idée est qu’il faut répondre à des besoins très basiques sur le moment. Quand il n’y en aura plus besoin, ils passeront à autre chose.
Comment cela percole avec les partis politiques ?
Christine : Il y a des activistes, une gauche anarchiste politique, mais sinon c’est plus un anarchisme culturel.
ll y a une forme de résilience des projets, tout ce qui est né de la crise, les réponses qu’ils ont créées pour eux alors servent maintenant pour accueillir les migrants. Ce n’est pas le fruit d’une stratégie mais c’est très efficace.
Solène : On a senti « on n’a plus rien à perdre et si on ne s’aide pas entre nous on va pas s’en sortir ». Des compromis ont été faits mais le peuple grec ne croit plus en les partis. C’est une histoire qui date le 50 crises.
Francine: L’Eglise orthodoxe est très importante et rentre aussi en compte dans l’organisation de ces services. Y a-t-il une articulation ?
Stéphane : On n’a pas rencontré de représentants religieux, on nous a fait part une méfiance vis à vis de l’Eglise, qui a un patrimoine qu’elle ne veut pas partager..
Référence permanente à la famille pour prendre le relai. C’est une famille élargie avec le voisinage. On n’a pas posé la question directement sur l’Eglise.
Christine : Plusieurs personnes (clinique, école) affirmaient qu’ils étaient indépendant des parties et de l’Eglise.
Julien : Les sujets de toutes ces initiatives étaient assez basiques et graves (manger, s’éduquer, se soigner). On n’est pas sur des sujets d’amélioration du quotidien.
Nicolas : Cela fait penser aux communs de subsistance qui sont assez forts dans le monde. Bizarrement, c’est un concept qui revient dans les pays riches avec la collapsologie mais il ne faut pas perdre de vue cette question d’organiser la vie dans des conditions de stress extrême sans cadre légal, des formes d’organisation communautaires qui se passent de cadres légaux. Au sujet des fondations, je voulais ajouter la question de leur redevabilité. Elles disent ne pas être politiques mais elles ont un agenda politique, sans impliquer du tout les citoyens.
Laura : Il y a parallèle intéressant à faire avec l’effondrement car en Grèce il n’y a pas un effondrement complet, il y a des survivances de l’ancien modèle, même si c’est à travers les institutions européennes ou les fondations. Il faut se dire qu’on est déjà dans une forme d’effondrement et penser les communs comme un modèle alternatif et pas de remplacement.