Un projet pour explorer comment les communs transforment l’action publique en Europe
Le bouillonnement de communs barcelonais – interview des voyageurs

En octobre 2019, nous avons profité du festival Brest en communs pour tenir notre première session de croisements des trois premiers voyages d’études (en Italie du nord, en Belgique et en Espagne). A cette occasion, nous avons demandé aux participants des premières mobilités de nous raconter ce qui a fait le sel de leurs voyages, histoire de voyager un peu avec eux, nous aussi. 

Pour l’Espagne, Solenn Balbous de la ville de Brest et Laura Pandelle, 27e Région se sont prêtées au jeu, interviewée par Benoit Vallauri, Ti Lab et rejoint au fil des échanges par les participants à la journée.

Dans quel contexte êtes-vous partis en Espagne? 

Laura Pandelle : Ce voyage sur les communs a eu lieu en pleine élection municipale à Barcelone. Particulièrement intéressant car c’était la fin d’une mandature très marquée sur les communs et où la maire sortante, Ada Colau, de Barcelone en Commun, était en train de perdre sa mandature : incertitude sur l’avenir de la mairie. On est donc arrivé à l’heure du bilan et on a pu questionner les acteurs locaux sur ce qu’avait donné cette mandature : est-ce que Barcelone en commun a tenu ses promesses ? 

Pour rappeler un peu le contexte, le mouvement des communs est inscrit dans une lutte sociale, qui vient du mouvement des indignés ou mouvement 15M (années 2008-2011) contre la pression de la dette. Un courant d’activistes se mobilise et bascule vers l’ESS et commence à mettre en place des outils pour permettre une innovation sociale plus proactive, à l’image de Goteo qui a été un des acteurs qui nous accueilli pendant ce voyage. Goteo est une plateforme de financement participatif dont les membres sont très proches de l’équipe municipale qui a porté la mandature d’Ada Colau. Et ils ont participé ensemble aux luttes sociales de 2011 [voir aussi un podcast france culture sur revenant sur la prise de pouvoir du mouvement en 2014]. 

Enfin, il faut ajouter à cela que la catalogne est un terrain coopérativiste, avec une histoire extrêmement forte de coopération qui renait aujourd’hui. 

C’était donc pour nous l’occasion de faire le bilan et de questionner : comment la ville s’est engagé sur les communs ? et comment la société civile a pris le train en marche et s’est engagée également ?

Est-ce que vous pouvez préciser ce que fait Goteo ? Quel est son rôle par rapport à l’acteur public? Est-ce qu’ils sont intermédiaires? 

Laura : Goteo est une nouvelle génération de structure de l’ESS qui à la fois s’ancre dans une lutte sociale très populaire et en même temps, se positionne sur un côté plus institutionnel comme proposant de nouvelles ingénieries de montage de projet. 

Concrètement, ils aident à lever des financements citoyens pour des initiatives citoyennes de toute sorte : pas que des communs, ils ont définition plus large autour de l’innovation sociale.  

Solenn : Ils essayaient de soutenir des projets qui se seraient noyé sur d’autres plateformes de financement participatif, des projets avec des gens qui avaient peu de réseau, etc.

Laura : Goteo s’appuie sur la ville de Barcelone : le deal est que, dans certains cas, la ville double le financement qui est levé par la population : c’est le principe de match funding. Cela place Goteo comme un acteur intermédiaire qui met la collectivité face à un engagement à financer des projets d’innovation sociale.  Mais le fait que les personnes qui portent Goteo soient proches des élus locaux, qu’ils se soient fédérés autour du mouvement des 15M joue beaucoup.  On a compris que le match funding ne s’appliquait que dans certains cas de figure : quand la mairie de Barcelone fait un appel à projet, dans le cadre de Barcelona Activa.

Sylvine : Ce qui est intéressant avec Goteo, c’est que c’est à la fois très local, et que ça crée un endroit de discussion entre les partenaires publics, privés, citoyens. Les appels à projet sont donc objet de discussion : Qu’est-ce qu’un projet en commun? etc. 

En quoi Goteo apporte autre chose ? Qu’est-ce qui est différent par rapport à ce que l’on connaît ? 

Laura : Par rapport au budget participatif, Goteo peut financer à la fois de l’investissement et du fonctionnement. Personnellement, je n’ai pas trouvé ça révolutionnaire. Ils font la passerelle entre la lutte sociale et les entrepreneurs : sorte de promotion de l’entrepreneuriat social. Mais ça marche bien, il y a une fenêtre de tir politique. 

Laura : Goteo fait vraiment du coaching de projet. Une fois que c’est lancé, Goteo se retire. Il n’y a pas de suivi sur le long terme du projet mais peut-être que ça viendra, c’est encore une initiative naissante, peut-être qu’ils vont se rendre compte que c’est utile. 

Comment sont choisis les projets à financer ? Quelle gouvernance ?

Solenn : Concernant le choix des projets, c’est Goteo qui est en charge de l’accompagnement et la mairie intervient seulement après (même si Goteo est financé par la mairie). 

Laura : En matière de gouvernance, on a pas réussi à savoir quel était le modèle de Goteo. mais toute leur plateforme est en code ouvert. Ensuite il y a une autre plateforme – Platoniq – à laquelle est lié Goteo, mais c’est hyper compliqué de comprendre les liens entre ces acteurs. Platoniq avait pour rôle de promouvoir une alternative à des plateformes comme airbnb, etc., et a un statut de fondation et un rôle de plaidoyer à l’échelle européenne. 

Michel Briand : Goteo est plus un facilitateur de commun qu’un commun.

On voit que Goteo est partout : est-ce qu’il n’y a pas un risque de mainmise ou de monopole de ces questions par un collectif très proche d’un pouvoir politique ? Est-ce qu’il y a encore de la place pour les petites initiatives ?  

Laura : On sent que Goteo est un acteur incontournable mais à côté de ça, on a vu d’autres acteurs comme Calafou qui sont plus indépendant et qui réussissent à survivre. Calafou est un squat historique qui a racheté le bâti et a installé une communauté de vie. Mais malgré leur volonté d’indépendance, ils reconnaissent l’importance de Goteo : cela permet de faire levier sur le politique.

[voir ici un article de Reporterre sur Calafou]

En Catalogne, il y a aussi, en parallèle de Goteo, toute une tendance anarchiste plus indépendante.

Et si le politique change, quels impacts cela peut-il avoir sur sa pérennité ? 

Laura : On a pas eu une réponse super claire mise à part « on est assez gros pour survivre » et « les stigmates de la crise sont encore tellement forts que l’énergie citoyenne est encore présente”  et finalement, on n’imagine pas qu’une nouvelle mandature réussisse à éteindre le foyer. On est encore dans une énergie ascendante d’initiatives citoyennes. 

Avez-vous d’autres formes de coopératives et de communs ?

Laura : Tous ces mouvements de financement de communs, d’innovation sociale a permis de porter très haut la question de la participation citoyenne. Cette volonté transparaît notamment via la mise en place de la plateforme Decidim, un outil numérique libre de participation citoyenne

Cet outil numérique est adossé à des rendez-vous de quartiers avec l’envie qu’on puisse participer à Decidim par d’autres biais. Mais on a pas pu y assister pendant le voyage.

Solenn Balbous : Concernant la société civile, on a pu rencontrer des coopératives de consommation qui s’organisent notamment Som Mobilitat dont le sujet était la mobilité. Le constat de départ de cette coopérative était que les acteurs publics ne s’adaptent pas assez vite aux besoins des citoyens en matière de mobilité. Ils souhaitaient également lutter contre la dynamique Uber. Ils proposent une nouvelle gestion des services de mobilité en partageant une flotte de véhicules électriques. 

Laura : En fait c’est une coopérative de consommation, qui est un modèle qui est très ancien. Il s’agit de citoyens qui se mettent à plusieurs pour consommer un bien dont ils assurent la gestion, etc. Ces initiatives sont encouragées par Goteo qui est la plateforme locale qui permet de lever du financement citoyen et de coordonner le financement de ces initiatives. Il y a une dimension infrastructure qui se met en place et des micro initiatives qui s’appuient sur ce système là. 

 

Est-ce que Som Mobilitat pense le lien avec le service public de transport ?

Laura : Son Mobilitat est un commun pas démocratique et pas inclusif car même si ils sont prêts à accueillir de nouveaux membres, il y a un ticket d’entrée qui s’élève à environ 1500€. On leur a posé la question “Est-ce qu’à côté vous militez pour un meilleur transport public?” Ce n’est pas leur sujet. Ils oeuvrent “à côté” des politiques publiques. 

Et sur la question de l’habitat coopératif ?

Ce qui particulier à la mandature d’Ada Colau c’était le fait d’avoir engagé la collectivité sur des axes forts qui étaient aussi des axes de lutte notamment le foncier. Il y avait une grosse pression de foncier à Barcelone avec la prédation d’acteurs comme AirBnB donc un des engagements de la maire était de lutter contre ce capitalisme de plateforme et de permettre aux habitants d’habiter à nouveau dans le centre ville de Barcelone. 

Sur le champ de l’habitat coopératif, le système porté par la ville de Barcelone est un système de baux emphytéotique : la ville utilise du foncier public, finance et investit dans la construction et les habitants remboursent. C’est une manière de sortir le foncier de la spéculation, les habitants paient un loyer qui est modéré, mais par contre, ils n’accèdent pas à la propriété. Quand ils sortent de la coopérative d’habitat, ils vendent leur droit d’usage et vont permettre à quelqu’un d’autre de prendre leur place [voir aussi cet article sur l’ANABF pour creuser la question de l’habitat à Barcelone].

Solenn : Un point intéressant à noter aussi, c’est le fait que ce type de logement n’était pas forcément abordable pour les populations les plus modestes (comparés à notre système de HLM). 

La mairie avait promis environ 130 logements et en a finalement produit que 8. L’ambition était énorme au départ. Aujourd’hui, ils sont en train d’inclure des clauses de mixité sociale dans les programmes car ils se sont aperçus que les premiers programmes avaient été approprié par des collectifs plutôt homogènes en terme de catégorie sociale. 

Finalement, avez vous eu des réponses par rapport au bilan d’Ada Colau ?

Laura : Les promesses étaient tellement fortes que forcément, elle avait pas réussi à tout résoudre. Finalement, ce qui revient ce sont les peurs conservatrices liées à l’insécurité, à la drogue. Elle n’a pas géré les effets collatéraux de ses mesures. Il y a une critique de la droite : “avant on avait une économie qui certes bénéficiait seulement à un petit nombre mais maintenant, on a plus cette économie et on a des effets négatifs comme la drogue, les migrants, etc”.

Quels seraient le point à clarifier ? L’image un peu floue que vous retiendrez du voyage? 

Laura : les panneaux “Tourist Go Home, Refugees Welcome”

Solenn : la coopérative intégrale catalane qui a été représentée par un mec qui était pas du tout clair et qui ne nous a rien appri. On a senti le décalage entre la frange à gauche de la gauche et les communs d’aujourd’hui. 

Si vous deviez garder une carte postale de ce voyage, c’est quoi la carte postale Ouaouh ? 

Solenn : Moi j’avais envie de creuser le lien financement participatif/financement public. 

Laura : Moi ce qui m’a marqué, c’est la vivacité de la lutte sociale. C’est un peu “l’énergie du désespoir” car la crise a été tellement dure que les gens se sont bougés. J’ai en tête l’exemple d’une usine qui a été réaffectée : au fur et à mesure que les manufacture sont partis, ils ont squatté les locaux en y installant des coopératives de production. Aujourd’hui, c’est encore hyper vivant : menuiserie, école, gros volet culturel, etc. 

 

 

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