Un projet pour explorer comment les communs transforment l’action publique en Europe
La Cascina Roccafranca, une maison de quartier d’un autre genre

En Février 2019, à l’occasion de notre première mobilité en Italie du nord, nous avons visité la Cascina Roccafranca, une des 18 maisons de quartier de la ville de Turin, qui existe depuis 2007. On y trouve une garderie, un salon de lecture féminine, des cours d’anglais pour les 2-3 ans, une cafétéria, un centre d’assistance… Pour l’année 2019 la Cascina a accueilli 250 activités différentes, toutes portées par des acteurs du quartier (associations, groupes informels, individus), et un peu plus de 200 occupations évènementielles (anniversaire, fête de départ à la retraite, fête des enfants du quartier..)

La Cascina Roccafranca pourrait être grossièrement définie comme un centre socio-culturel de quartier, mais elle se distingue par un certain nombre de caractéristiques – son histoire, son état d’esprit, ses fonctions, son modèle de gestion, ses relations avec le quartier, etc.-  qui la rendent singulière. Retour sur les éléments distinctifs de ce dispositif.

 

Les maisons de quartier pour stimuler la citoyenneté active

La Cascina Roccafranca fait partie des Maisons de Quartier, dispositif Turinois proche d’un centre socio-culturel ayant vocation à accueillir les activités éducatives, culturelles et sportives les plus diverses, portés par les acteurs locaux.

Mises en place à la fin des années 2000, ces maisons de quartier sont des lieux pensés comme des « boîtes vides » : elles ont pour fonction de rassembler, créer des socialisations, et permettre aux personnes, aux idées et aux projets de se développer. Les associations locales, les groupes communautaires, les groupes informels, les familles sont invitées à se saisir de l’espace pour y faire vivre leurs initiatives. La programmation du lieu est donc très ascendante, et vient uniquement des habitants, charge en suite à l’équipe de garantir un bon équilibre entre les publics. Il s’agit d’une application concrète du principe de citoyenneté active à l’action socio-culturelle et la cohésion sociale : ici les utilisateurs des lieux ne sont pas simplement les bénéficiaires d’un service, mais ils sont les principaux acteurs de ce qui se passe dans la maison de quartier.

Le mécanisme semble séduire les habitants, en témoigne les quelques 3500 passages par semaine,  les 80 associations et groupes informels partenaires et la quarantaine de bénévoles qui travaillent au sein de la structure.

Dans un second temps, une fois l’appropriation des habitants largement démontrée, certains services publics se sont aussi ajoutés au lieu – services sociaux, bureaux d’assistance.  La maison de quartier a aussi joué un rôle structurant dans la mise en place des pactes de collaboration à Turin, en jouant le rôle d’entremetteur entre les citoyens et les services de la villes.

 

Un co-portage public-citoyens inscrit dans l’ADN du projet

 

Un des enjeux des maisons de quartier est donc l’implication et l’appropriation de cet outil par les habitants et les acteurs locaux déjà actifs dans le quartier. La dimension mixte public-citoyen du lieu est inscrite dans la genèse, dans le montage et dans le mode de fonctionnement de la Cascina.

Née d’un projet européen, la Cascina qui visait à régénérer un quartier en faisant participer les acteurs du territoire et les habitants. Les habitants et les acteurs locaux ont été associés dès l’élaboration du projet via une démarche de conception participative.

Cette phase a abouti à la création d’une structure atypique témoignant de l’ambition affichée par les parties en matière de co-portage : une fondation atypique en participation. A la différence des fondations classiques (un sujet qui porte les biens), on distingue ici deux types de sociétaires. D’un côté, le fondateur -la commune de Turin- qui apporte à la fondation le bâtiment, le personnel et quelques services, soit un apport valorisé en tant que biens matériels. De l’autre, les sociétaires participants – près de 35 associations – qui apportent à la fondation des idées, des projets, leur disponibilité, …  et dont la contribution est valorisée en tant qu’apports immatériels.  Ils sont réunis dans le « collège des participants » et participent à la directive de la fondation. Le conseil d’administration est constitué de 5 personnes, dont 3 nominées par la ville de Turin et 2 du collège de participants.

Ce co-portage se retrouve aussi dans la physionomie de l’équipe de gestion de la maison de quartier est mixte entre des fonctionnaires de la ville détachés (pour les métiers de gestion pure) et des acteurs locaux de terrain (pour l’animation), et chacun à voix au chapitre sur les choix stratégiques de la maison de quartier.

Le fonctionnement en « petites entreprises locales » inclut un fort changement radical des agents publics, qui parviennent à changer de posture grâce au contact avec les autres membres non fonctionnaires de l’équipe, et l’environnement désinstitutionnalisé du lieu.

 

Pérenniser le modèle 

Pour autant, la pérennité de ce type de projet pose question. La Cascina est financée à 65% par des subventions et de l’autofinancement (bail aux restaurant, locations aux associations qui portent des activités payantes, locations aux acteurs privés (anniversaire…), donations) et 35% d’une fondation privée (fondation San Paolo). Ce dernier financement est le fruit d’un accord entre la ville de Turin et la fondation San Paolo pour l’ensemble des maisons de quartier, facilité par le fait que les banques ont une forme d’obligation de mécénat d’initiative au niveau local.

Mais le montage témoigne d’un relatif désengagement financier de l’acteur public : hormis la mise à disposition d’une moitié de l’équipe, et la mise à disposition du lieu, la ville ne débourse aucun argent direct pour le fonctionnement, et la tendance est à l’incitation à construire un modèle économique autonome. Se pose la question du maintien de la gratuité et de l’accès aux activités dans ce contexte.

Sur le plan politique ce modèle présente aussi des fragilités : intrinsèquement dépendant de la mise à disposition du lieu par la Ville, il y a une possibilité que tout s’arrête en cas de changement de bord politique. Même si aujourd’hui ce risque est plus théorique que réel : la Cascina Roccafranca est intégrée dans le paysage local et adoptée par la communauté, et qui plus est, est reconnue comme un équipement public de proximité au même titre qu’une bibliothèque, il est donc peu probable qu’une équipe municipale prenne le risque de la fermer.

 

Par Louise Guillot

 Merci à Renato Bergamin, directeur de la Cacsina Roccafranca pour son témoignage.

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