Un projet pour explorer comment les communs transforment l’action publique en Europe
Bologne à l’épreuve des communs

Premiere ville majeure d’Italie à transposer le principe de subsidiarité horizontale prévue dans la constitution dans ses politiques publiques, Bologne est une pionnière en matière d’administration partagée. Lors de notre premier voyage, nous sommes aller voir d’un peu plus près les outils réglementaires mis en place et leurs impacts concrets sur le territoire. 

Quelle est la situation ?

Nous nous plaçons dans un contexte d’une historicité forte puisque Bologne est une des villes ou se sont développées les premières formes de communalisme (avec des traces des tractations entre des notables bolognais et la noblesse locale datant du XIIe siècle). Bologne est également une ville d’expérimentations urbaines et sociales multiples : plans d’urbanisation pensés pour éviter une trop grande gentrification dans les années 70, mise en place de conseils de quartier et une pensée résolument tournée vers la prise en compte des avis des citoyens sur les affaires de la cité. Politiquement, la ville est depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ancrée à gauche et à l’extrême gauche, avec des maires Parti Communiste Italien et Parti Démocrate de la Gauche (PDS) jusqu’en 1999, suivi par une alternance de centre-droit, et une reprise du pouvoir par une coalition portée par le Parti Démocrate depuis.

Également, Bologne est une ville étudiante, l’université de Bologne étant une des plus anciennes au monde, fondée en 1088, la population étudiante constituant le quart des habitants de la ville (400000 environ).

Suite à une réforme constitutionnelle italienne en 2001 (art. 118 al. 4), le principe de subsidiarité a été instauré et stipule que “l’État, les Régions, les villes métropolitaines, les provinces et les communs favorisent l’initiative autonome des citoyens, seuls et associés, pour le développement d’activité d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité”1.

Ce principe s’est vu appliqué en 2014 lorsque la ville de Bologne adopte le premier Regolamenti per l’amministrazione condivisa dei beni comuni. Ce règlement permet à la ville de Bologne de contracter des Pactes (Patti di collaborazione) avec les citoyens de la ville.

Les pactes bolognais

Ce règlement en particulier a été accompagné par Donato di Memmo, Responsable citoyenneté active et secteur tiers, département nouvelles citoyennetés, inclusion sociale et quartiers responsables à la Commune de Bologne. Ce règlement est la concrétisation de la théorie insufflée par la réforme constitutionnelle de 2001, et est assez proche d’une loi, construit avec une portée nationale pour être adaptable à d’autres villes. Il est également le fruit de la réflexion engagée suite au référendum de 2011 qui a porté notamment sur les modalités de gestion de l’eau pour les villes2.

Les pactes de collaboration de Bologne fonctionnent sur 3 niveaux : au niveau national (avec l’article 118 de la Constitution italienne), le règlement de la ville de Bologne et les pactes de collaboration au niveau micro-local.

Il existe des différences entre la participation et la collaboration, il ne s’agit pas ici de considérer les bien communs comme objets de droit universel mais de co-administrer ces biens communs. Bologne est un exemple d’administration partagée, point de départ des initiatives autonomes sur des sujets jamais rencontrés dans le cadre du participatif (ex : clubs d’ultras qui gèrent un local, personnes sans-abri qui s’occupent d’espaces verts…). Nous sommes ici dans une situation avec probablement le minimum possible de bureaucratie, les propositions d’initiatives se font en ligne, puis sont prises en charge par l’équipe dédiée de la ville (composée de 7 personnes) pour répondre à ces demandes. Un accord tacite est fourni au bout de 15 jours.

Les pactes bolognais sont publiés sur le site de la ville, accompagnés d’une localisation sur une carte, d’une mise en contexte des pactes et de toutes les informations nécessaires au citoyen pour contacter les personnes en charge du pacte, citoyen ou fonctionnaire. Les citoyens ont également la possibilité de commenter les pactes à travers le réseau social civique mis en place par Bologne : Iperbole Rete Civica. Lors de notre visite à Bologne, nous avons vu trois pactes :

  • Pacte Reuse with love3 : Ce pacte se concentre sur l’accès à une cour et un jardin inoccupés depuis quelques années, par une association caritative qui cherche à accoler son activité à la fréquentation du jardin et la relation avec le voisinage. Il nous a été présenté par les membres de l’association porteuse du projet, bien qu’elles aient axé cette présentation sur leur activité associative. Il en ressort que le pacte est ici un moyen de pérenniser un accès à leur ressource principale : le local qui héberge leurs activités. En participant à la revitalisation du jardin, c’est dans une des deux principales thématiques que se porte ce pacte : celui de l’embellissement et de la curation du patrimoine urbain de la ville.

  • Pacte No Tag4 : Dans ce pacte, des citoyens du quartier de la Porta Saragozza se chargent de nettoyer les multiples tags et dégradations des arcades qui courent dans toute la ville. La municipalité les accompagne sur le plan matériel, avec un remboursement des dépenses de peinture et avec un apport initial en achat de matériel et en formation par une entreprise spécialisée. Ce pacte est porté par un collectif informel qui a noué des contacts avec d’autres groupes (scouts et ultras) pour entreposer du matériel.

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  • Pacte jardin en commun San Marta5 : Ce pacte vise à ouvrir et rendre au public un jardin inutilisé auparavant du quartier San Marta. La municipalité est présente sur ce projet par la mise en relation entre l’organisme public gérant le jardin et les membres du collectif de quartier qui s’en occupent. La mairie a également proposé de rémunérer un jardinier professionnel lorsque le besoin s’en est fait sentir, au travers d’un emploi aidé.

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Les pactes bolognais témoignent de 3 choses : la simplicité à travers le changement de posture des différents acteurs de l’action publique qui est plus facile à adopter. L’administration et les agents de la municipalité sont dans une posture d’écoute bienveillante, d’échanges constructifs avec les citoyens, sans la prescription sur les actions à mener ou les lieux touchés qu’on pourrait attendre de la part de la puissance publique. Les citoyens eux se positionnent dans un rapport nettement plus souple, délivrés des contraintes administratives propres à l’engagement associatif. Les pactes ont également cet avantage crucial de pouvoir envisager des actions sur des champs généralement complexes de l’action collective et citoyenne : les pactes de nettoyage des murs et des rues de la ville seraient nettement plus complexes à mettre en place dans un système « classique » d’un engagement associatif.

La transparence ensuite, dans l’esprit qu’on retrouve suite à la loi pour une République Numérique française et le verset de l’open data des administrations publiques, les pactes bolognais sont facilement retrouvables en ligne et amendables via la discussion entre citoyens et administration.

Enfin, la souplesse du cadre, les pactes étant le plus souvent à l’initiative des citoyens, tant qu’ils restent dans les limites fixées par le règlement, ils portent sur des sujets très variés. De plus, et en lien avec la transparence des pactes, ils sont par nature propres à accueillir de nouveaux membres sans formalités. Les pactes étant conclus pour deux ans, la redéfinition des actions et des membres est également rendue plus facilement possible que dans le cas d’une convention avec une association.

Certaines faiblesses des pactes sont néanmoins à souligner, leur durée courte qui empêche les actions de longue durée et qui nécessite un fréquent renouvellement des pactes. Les questions de responsabilité des différents acteurs, bien qu’abordées dans le règlement bolognais, sont un des sujets de différence avec le cas turinois, chaque acteur étant responsable de lui-même, l’acteur en situation de proposition de l’action étant responsable des personnes comme des biens.

Pour Labsus, ce règlement agit comme un renouveau dans le secteur associatif italien, avec la création de nouvelles alliances entre association et relance d’associations plus anciennes, de même que la possibilité nouvelle pour des citoyens jusque là en dehors des sphères associatives de s’investir dans les biens communs de leur ville.

Le paradoxe turinois

Aujourd’hui, plus d’une centaine de villes ont adopté un règlement similaire à celui de Bologne en l’ajustant à leur contexte territorial. Que produit ce type de transposition ailleurs ? Nous sommes allés à Turin pour en savoir plus. L’écriture des deux règlements s’est faite dans des conditions profondément différentes, alors que Bologne expérimentait une nouvelle façon de faire de l’action publique, Turin est arrivée après cette phase expérimentale (et nécessairement défaillante sur certains points), écrivant son propre règlement en s’inspirant du cas bolognais. Dans les différences fondamentales entre ces deux textes se tiennent les définitions :

– La définition des biens communs urbains d’abord, le règlement Turinois pose la notion de l’exercice des droits fondamentaux des citoyens et l’intérêt des générations futures, ce que ne fait pas le règlement Bolognais.

– La définition des citoyens actifs : pour Bologne, les citoyens actifs sont ‘tous les individus, seuls, en association ou réunis de quelque manière que ce soit dans une formation sociale, à caractère entrepreneurial ou bien à vocation sociale, qui se sont activés pour la curation et la régénération des biens urbains conformément au présent règlement », tandis que Turin précise que les sujets de nature entrepreneuriale ne sont pris en compte dans le règlement que s’ils n’obtiennent pas d’avantages économiques directs ou indirects via un pacte (art. 2 c : « conformément au présent règlement, les sujets de nature entrepreneuriale ne sont considérés comme citoyens actifs aux fins du présent règlement que s’ils n’obtiennent pas d’avantages économiques directs ou indirects grâce aux soins, à la gestion partagée ou à la régénération de biens communs urbains »)

– Une autre nuance apportée par le règlement italien est l’impossibilité pour les pactes de remplacer des services essentiels garantis par la municipalité, selon les lois et règlements en vigueur « a patto che non si configurino come surrogato di servizi essenziali che devono essere garantiti dal comune stesso secondo le leggi ed i regolamenti vigenti. » (art. 2 d)

Les autres différences se trouvent dans le règlement bolognais, en précisant la zone d’intervention des pactes (« qui ont une incidence sur la qualité de vie dans la cité » art 2 h), ainsi qu’une composante essentielle de l’organisation : le moyen et le mode de communication. Ce qui a été retenu par Bologne, c’est la publication en ligne de façon transparente du règlement et des différents pactes, avec la connexion au réseau civique du site de la ville et la possibilité pour les citoyens d’accéder à l’information et de commenter ou de voter pour les pactes. Turin publie également ses pactes en ligne, avec des informations similaires mais en articulant les pactes au projet européen Co-city et en présentant les pièces administratives actant les pactes, qui sont votés en conseil municipal.

Les pactes turinois ont aussi la particularité notable d’avoir un cadre d’application spécifique : la municipalité ayant au préalable fléché 121 lieux sur lesquels agir (revitalisation, ouverture différée, partage des temps d’usage des espaces…).

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(Renato Bergamin lors de la visite de la Casa del Quartiere Cascina Roccafranca à Turin)

Parmi les autres différences notables, les pactes turinois passent par un long processus de rédaction et de maturation accompagné par les maisons de quartier au nombre de 8, disséminées dans les différents quartiers de la ville à partir des années 90 au travers de diverses expérimentations et formalisé dans le projet Rete Casa del quartiere en 2012. Les maisons de quartier sont chargées d’accompagner les citoyens dans leurs demandes de pactes avec la municipalité. Là où les pactes bolognais sont sur le plan formel réduits au minimum, les propositions de pactes turinois sont beaucoup plus complètes et documentées.

Sans en théorie limiter les possibilités d’application des pactes, le couplage des lieux à toucher avec la démarche administrative préalable marque visiblement le paradoxe des pactes turinois : en 2 ans d’activité du règlement turinois, seuls une dizaine de pactes ont été mis en place.

Par Pierre Boutoux, SavoirCom1

1« Stato, Regioni, Città metropolitane, Province e Comuni favoriscono l’autonoma iniziativa dei cittadini, sigoli e associati, per lo svoglimento di attività di interesse generale, sulla base del principio di sussidiarietà. » http://www.normattiva.it/uri-res/N2Ls?urn:nir:stato:costituzione:1947-13-27!vig=

2https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_abrogatif_de_2011_en_Italie

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